Le contexte historique: Mircea l’Ancien contre le sultan Bajazet
La bataille de Rovine, le 17 mai 1395, a été l'une des batailles les plus marquantes de notre histoire nationale, mais qui cache encore de nombreuses inconnues.
Ce fut une brillante victoire tactique du grand voïvode Mircea l'Ancien (1386-1418) contre le vicieux sultan ottoman Bajazet Yldirim « La Foudre » (1389-1402). Elle s’est déroulée dans le cadre de la première grande campagne ottomane dans le nord du Danube.
Le sultan turc a profité des faiblesses de l'Empire Byzantin sous les empereurs Jean VII et de Manuel II (qui étaient devenus ses vassaux).
Mircea l'Ancien n'était pas un voisin confortable pour les Ottomans. Il avait étendu ses territoires de façon inquiétante pour le sultan, surtout sur la région de Dobrogea.
"Moi, celui en Christ Dieu fidèle et croyant, moi Mircea le Grand Voïvode et Seigneur avec la miséricorde de Dieu et avec le dévouement divin providentiel et Seigneur et Maître de toute la terre des Ungrovlahs et des montagnes et des champs et même de la terre de Tatars (Almaş) et de Făgăraş, Herţeg, Prince du Banat vers l'ouest et des deux côtés de la Podunavia (Dobrogea) jusqu'à la Grande Mer (la Mer Noire) et la forteresse de Dârstor et aux frontières de l'Odriil (Adrianople)".
Ce titre de Mircea l'Ancien, très connu par tous les roumains, a été écrit par Radu Bălăceanu (frère du grand Ban Constantin Bălăceanu) sur une page d'un exemplaire d’un ouvrage juridique de 1628, avec la mention qu'il a été copié d'après un acte signé par Mircea l'Ancien et qui se trouverait au monastère de Brâncoveni.
Ce titre est évidemment exagéré. En outre, l'utilisation du nom "Odriil" pour Adrianople est anachronique, car elle n'est utilisée que depuis le VII ème siècle, ce qui soulève des doutes quant à l’authenticité du document.
C'est probablement une contrefaçon délibérément exagérée pour amplifier l'importance de Mircea l'Ancien à l'époque des Phanariotes, quand il y a eu un courant, auquel s'est rallié Radu Bălăceanu, qui s'est battu au nom de la ‘romanité’ ou du nationalisme des Lumières contre la pression grecque des Phanariotes.
Ce qui a surtout agacé les Turcs, c'est l'occupation de Dobrogea.
Dès qu’il monte sur le trône, Bajazet organise une armée efficace. Il appelle en renforts ses vassaux chrétiens de Serbie: Stefan Lazarevici, Constantin Dragas et Marko Krailevici, et entre en Valachie par la région de Séverin.
L'affrontement avec le voïvode roumain a eu lieu à Rovine le 17 mars 1395, comme il est mentionné dans une lettre de la fille de Constantin Dragas, tué à Rovine.
Les troupes turques ont été encerclées et massacrées par les roumains dans une région marécageuse où les roumains avaient en plus creusé un réseau de fossés. Les informations sur le déroulement de la bataille proviennent de chroniques byzantines (telles que celle de Laonic Chalcohondil, le plus grand historien byzantin), serbes et turques, toutes imprécises.
Tout le monde s'accorde toutefois pour dire que la bataille fût cruelle avec de grandes pertes des deux côtés. Au cours de l’affrontement, le ciel a été obscurci par une multitude de flèches et la rivière voisine est devenue rouge à cause du sang des blessés.
Ce que l’on ignore, par contre, c’est le lieu précis de la bataille à cause du manque de précision des chroniques turque, byzantine et slave. Il est clair qu'il était dans un champ boueux au bord d'une rivière.
La plupart d’auteurs s'accordent pour dire que la lutte de Rovine a eu lieu au sud de Craiova, sur les bords de la rivière Jiu, où se trouvent maintenant les villages de Podari et Balta Verde.
Selon la tradition de la famille Bălăceanu, un Constantin ou Balaci, qui était à la tête de l'armée de Mircea Voda, est mort dans la lutte de Rovine. Il était le neveu ou petit-fils du Kneaz de Balaci, appelé « Cap Negru » (tête noire), considéré par Bogdan Petriceicu Haşdeu comme le fondateur de la famille.
Avec lui, deux autres frères sont morts.
La mort de ces trois frères à Rovine a été symbolisée dans l'héraldique de la famille sous la forme de trois flèches orientées vers le bas trouvées à la fois dans les blasons traditionnels de la famille que dans celui du Saint Empire romano- germanique, concédé par Léopold I er au grand Aga Constantin Bălăceanu au XVII siècle.
Durant des siècles, les descendants des Bălăceanu ont porté et portent encore sur leurs bijoux, leur vaisselle, leurs monuments funéraires, leurs maisons et certains objets, le souvenir de la bataille de Rovine. D'eux, ce souvenir est passé dans les blasons des villes de Stolnici (comté de Arges) et Balaci (comté de Teleorman).
A Rovine est mort aussi Constantin Dragas (Dejanovici). Ce Constantine Dragas n'était pas n’importe qui. Il faisait partie de la noblesse serbe, était le dirigeant d'une vaste province de Macédoine et vassal du sultan ottoman. Il était le grand-père du dernier empereur de Byzance, Constantine XI Dragases.
Sa fille était Elena, mariée à l'empereur Manuel II le Paléologue. C’est grâce à sa lettre, dans laquelle elle parle de la mort de son père, qu’il fut possible de fixer la date exacte de la bataille de Rovine.
Bien plus intéressant pour les Bălăceanu, Marko Krailevici (1335-1395) était le roi de Serbie, mais il ne gouvernait qu'un modeste territoire en Macédoine. Comme Dragas, il était vassal du sultan turc.
Cependant, il était et est resté jusqu’aujourd’hui le héros national des Slaves du Sud du Danube et est célèbre dans la littérature épique des Serbes, Bulgares et Macédoniens.
Les traditions folkloriques le montrent comme un ennemi impitoyable des Turcs, un puissant et grand buveur de vin et inséparable de son cheval Sharak.
Dans les légendes et les ballades, il apparaît comme un guerrier doté de grands pouvoirs surnaturels. C’est un personnage de la littérature culte du XIX siècle et a été représenté dans 81 peintures et fresques.
Son père était Vucasin, le roi des Serbes, et sa mère, qui avait un petit domaine près de Craiova, était de la même descendance que Mircea l'Ancien, qui ne lui apparemment jamais pardonné sa présence auprès des Turcs. Lui aussi est mort dans la bataille de Rovine.
Giacomo Luccari, dans sa chronique de Raguse, mentionne que le corps de ce héros légendaire a été porté à dos de cheval pour être enterré dans un monastère des Bălăceanu. (Bullaciani).
Ce ne peut être que la nécropole de cette famille à Balaci de Teleorman. Cet enterrement n'aurait pas été possible (surtout qu'il est mort en tant qu'allié de Baiazid!) que s'il était un ami proche ou même un parent de Constantin ot Balaci.
Giacomo di Pietro Luccari (1551-1615) est un chroniqueur de Raguse, en Sicile. En 1605, il publia une histoire de la république de Raguse.
Cette chronique, imprimée à Venise, et qui reprend, pour les événements survenus en Valachie, une ancienne chronique de Murgul, aujourd'hui perdue, affirme que le sultan Bejazet est entré dans le pays à Séverin et s'est battu avec Mircea "sous la ville de Craiova", où il a été "à moitié fracassé".
Source: Constantin Bălăceanu Stolnici